samedi 23 mai 2009

A vue et vol d'oiseau

Vous voyez l’espèce de rosace centrée sur l’œil de l’oiseau poché par le collectif Peripheral Media Projects sur cette palissade de la rue Saint-Ghislain ? Mais si, regardez bien … On dirait un enjoliveur de bagnole ou le motif d’un vitrail circulaire. Allleeeez, vous l’avez sur le bout de la langue … C’est …. Hé ben oui, mais c’est bien sûr … C’est un panopticon ! Oncle Wiki vous en rappelle la définition, au cas douteux et malheureux où vous l’auriez oubliée : le panopticon est un modèle architectural de prison conçu en 1785 par le philosophe anglais Jeremy Bentham (comme quoi, la philosophie mène à tout). Le principe du panopticon est simple : permettre au moins possible de « uns » de surveiller le plus possible de « tous les autres ». Copain Jeremy a en fait piqué l’idée à son frère Samuel qui a établi les plans d’une école militaire à Paris selon le même schéma. Dans un entretien exclusif réalisé tout récemment dans leur atelier de Brooklyn (NYC, USA) pour ce blog, un des membres du collectif PMP, nous parle de l’œil poché (!) : « The observed is always under the impression of being observed but doesn’t see the observer … The system enables you to watch more than thousand prisoners at once but they don’t even know if you are in your post ! It’s all about how to create a maximally efficient prison and guard system, how to optimize the system ». Parce que le « système » auquel notre pochoiriste fait allusion n’est évidemment pas restreint au monde scolaire (élèves / pion) ou pénitentiaire (plus besoin de faire un dessin). On le retrouve aussi dans certaines réflexions de dispositions hospitalières (patients / soignant), dans des plans de construction d’usines (ouvriers / contre-maître) et, ultimement, dans l’ensemble de notre environnement sociétal. Il revient au philosophe (décidément !) français Michel Foucault (1926 - 1984) d’avoir été le premier à analyser - dans son célèbre livre « Surveiller et Punir » publié en 1975 - cette fâcheuse tendance panoptique de notre société moderne obsédée jusqu’à la moëlle par la surveillance et la normalisation. Ecoutes téléphoniques, caméras en circuit fermé et autres monitorages internautiques n’ont fait qu’amplifier la pertinence de la métaphore panopticiste au cours des dernières années. D'ailleurs, même cette palissade en planches de bois a des yeux (qui ne sont pas de PMP) qui nous regardent ... Bref, nous sommes tous des prisonniers !
Le collectif PMP enfonce d’ailleurs le clou avec un second pochoir, beaucoup plus direct et peint rue du Miroir : « For all prisoners, … Everywhere ». Mais dans une pirouette intellectuelle que seuls les artistes de grand talent sont capables d’exécuter, le collectif nous précise lors de notre rencontre que, à la prison (du corps), il est toujours possible d’opposer la liberté (d’esprit) : « Our stencils are strong enough as stand-alone that other people who may not know it's a pantopticon can see other contents and be happy with it … They are not missing-out on anything, it’s not to their disadvantage … The idea is to get people to think but not what they should think. Telling people what to think is not respectful ! ». Alors, ami lecteur, amie lectrice, vois et imagines ce que tu veux, envoles - toi libre comme l’oiseau.

vendredi 22 mai 2009

Les forces de l'ordre NYaises sont-elles taupées ?

Rapide passage par la Grosse Pomme le week-end passé. Quelques heures dérobées à un voyage sérieux pour traînailler dans les rues du Meat District - Chelsea et y conclure que, de nos jours, la vaste majorité des oeuvres murales de Manhattan sont collées et non peintes ou pochées. Grandes vedettes du moment : les gigantesques paste-ups de Mr. Brainwash, les dessins multi-colorés de Tian et les heureux détournements de BilliKid. Dans le registre stencilé pur et dur, on trouve bien quelques trucs sympas ça et là mais, au comptage final, le plus fréquent pochoir direct est … la version locale de notre « interdit d'afficher ». On peut se poser la question de savoir si son auteur - applicateur n’est pas un pochoiriste qui s’est fait pincer par les flics et preste ainsi quelques heures de travaux d’utilité publique au comble ironique de son art. L’exemple illustré ici a été photographié sur le coin de la 10ième avenue et de la 31ième rue sur une palissade en bois balisant un immense chantier de construction. Multiplié ad nauseam sur toute la longueur d’un bloc, l’avertissement invite - à contre-effet évident - l’attention sur une surface au départ résolument uniforme et anodine. Encore plus intriguant est le fait que, à chaque répétition, la même dernière lettre flanche lamentablement … minant ainsi au dernier instant typographique l'impeccable et implacable autorité du message policier. Très fin, l’infiltré !

jeudi 14 mai 2009

A vos plumes !

Le contenu de cette rubrique étant jugé parfois un peu … mmmh … über-cérébral, nous avons décidé de faire, cette fois-ci, dans l’éducatif utile. Carrément. C’est pour votre bien. L’occasion nous en est en effet donnée par cette magnifique planche didactique (ci-contre) œuvrée par le pochoiriste animalier Spencer et exposée rue du Miroir. Référencés côte à côte, comme le seraient les Dupont et Dupond, nous voyons une chouette et un hibou. Deux rapaces de la famille des strigiformes pour lesquels la langue française est une des seules à s’encombrer de deux termes distincts. La chouette n’étant pas (c’est dit une bonne fois pour toute) la femelle du hibou et le hibou n’étant pas (c’est également dit une bonne fois pour toute) le mâle de la chouette, quelles sont donc les différences entre les deux bestioles rapacées ? L’évidence, d’abord : comme on peut le voir sur le chromo mural, le hibou a la face ébouriffée de deux touffes de plumes au-dessus des yeux (les aigrettes) alors que la chouette n’en présente pas (même toute barbouillée au saut du lit) ... Ensuite, si vous collez votre oreille contre - oui, tout contre - le pochoir, vous entendrez que la chouette chuinte alors que le hibou hulule. Enfin, la chouette, comme certains pochoiristes, est active le jour (un peu) et la nuit (beaucoup) alors que le hibou, comme d’autres pochoiristes, est exclusivement nocturne. Et pour être vraiment complet, il faut ajouter qu’il arrive à certaines chouettes, quand elles ont la dalle, de se boulotter quelques (petits) hiboux mais pas l’inverse. Dans la vie, les cousins – cousines affrontent les mêmes problèmes liés à l’utilisation abusive de rodenticides et à la destruction de leur habitat. Bonne nouvelle, cependant, à ce sujet-là : les initiatives se multiplient de par notre beau monde pour fournir à nos drôles d’oiseaux des nichoirs artificiels pourvus de tout le confort moderne … Voilà une belle et généreuse idée qui ne peut que nous réjouir … Pouvons-nous dès lors inviter les promoteurs de ces appartements à s’adjoindre les talents de quelques pochoiristes (sensibles à la cause animale) pour en égayer la décoration ? Nous planchons déjà sur le sujet. En attendant, amis lecteurs, amies lectrices, juste pour voir si vous avez été foutus de retenir quelque chose de cette fiche pédagogique … La chouette de Spencer, est-elle à droite ou à gauche du pochoir ? Et le hibou, est-il à gauche ou à droite du pochoir ? Question subsidiaire : combien de réponses correctes allons-nous recevoir ? Sur ce, bonne nuit à tous (les hiboux) et toutes (les chouettes).

mercredi 6 mai 2009

Don't walk ... Run !

Bon, OK, il n’est pas vraiment illégal, celui-là. Mais il me fait bien marrer chaque fois que je roule dessus ! Pochés à la résine sur le macadam de l’avenue Franklin Roosevelt, le gamin en culottes courtes et sa soeurette à couettes nous signalent le danger d’un passage d’enfants … Pile devant l’entrée principale du campus de l’université libre de Bruxelles. Les traversants post-adolescents apprécieront à sa juste valeur, en fonction de leurs pustules acnéeuses et de leurs budgets vestimentaires, le décalage imposé du panneau A23 ! Tant d’effort pour être rabaissé au statut de môme réglementaire par l’implacable et réductrice codification du code (!) de la route … c’est dur, certes, mais voilà, c’est pour leur bien. La priorité ici est d’inciter les automobilistes à redoubler de prudence face au danger de voir un(e) bizuté(e) ou un bituré(e) surgir de dieu-sait-zou et venir s’aplatir sur leur capot. A bonne raison, d’ailleurs … puisqu’en 2006, un solide 750 piétons se sont faits écrabouillés (dont 11 décédés) en région bruxelloise, la majorité d‘entre eux étant des d’jeunz (33% des graves et des morts avaient moins de 25 ans). Mais pour les zélés chroniqueurs sociétologiques que nous sommes, plus fâcheux encore est la réalisation supplémentaire - second décalage - que le cadre fermé du triangle a pour effet de restreindre sévèrement la latitude de mouvement (l’aisance de gesticulation) de nos (grands) enfants, vivants ou morts. Université libre peut-être mais liberté de se déplacer … un peu nettement moins (dans les lignes, dans les clous). En ceci, la signalétique routière est bien le reflet, le témoin, le rappel de la carceralité urbaine. Tu bouges quand, comment et où on te le dit.
Nous en viendrions presque à jalouser la liberté des cervidés qui, comme dans cette oeuvre du célèbre pochoiriste Spencer (ici auto-photographié par l’artiste à Barcelone) peuvent jumper hors de leur panneau (c’est un matricule A27 pour le gros gibier) pour aller gambader et brouter là où ils veulent. Une liberté qui a peut-être un prix, d’ailleurs … Ainsi, si les étudiants manquent parfois de plomb dans la cervelle (en saison de guindaille), les biches, les cerfs et leurs amis les sangliers, eux, en ont tout aussi parfois trop dans le cul (en saison de chasse). Mais la question est et reste : qui sortira nos bambins (bambins, pas bambis) de leur triangle plat, polymérique et rouge ? S’il était pochoiriste, nous appellerions le détourneur pictogrammique Jérôme Considérant à l’aide. Mais il n’est pas pochoiriste. Alors, qui d’autre ?